L'engagement empathique
Être en mesure de prendre au sérieux les perspectives et les circonstances des autres en se projetant activement dans leur expérience avec sensibilité et discernement.
DÉFINITION ET CRITÈRES PRINCIPAUX
À l’IPCJ, l’engagement empathique présuppose une volonté de saisir l’ensemble des caractéristiques de la situation d’une autre personne afin de la représenter et de l’évaluer de manière plus juste, sans pour autant renoncer à son identité ou son impartialité. Un.e citoyen.ne responsable qui fait preuve de l’engagement empathique peut :
Reconnaître que les perspectives peuvent être limitées, en ayant conscience que des points de vue pertinents peuvent être exclus d’une prise de décision ou d’une réflexion, en intégrant d’autres points de vue pour diversifier et problématiser la sienne, en cherchant à dépasser ses propres connaissances, en cherchant des lectures et des interprétations alternatives de l’histoire, de la religion, de la culture et de la scienc, etc.
Élargir les critères de l’empathie, en identifiant davantage de candidats envers qui faire preuve d’empathie ; en agrandissant la sphère de sa préoccupation morale afin d’inclure plus de gens et de situations ; en envisageant volontairement de nouvelles possibilités de ce qui peut valoir la peine d’être valorisé et cru ; en reconnaissant la dignité de la personne avec qui il.elle fait preuve d’empathie, etc.
Mettre en action leurs engagements envers les autres, en étant sensible à la foule de détails qui affectent autrui ; en évitant les représentations caricaturales en discernant autrui dans toute sa complexité ; en s’efforçant de comprendre la situation d’autrui sans la réduire à sa propre vision du monde ; en s’impliquant dans des initiatives qui soutiennent autrui, etc.
RECHERCHES ET RETOMBÉES
Plusieurs approches guident la conception de l’engagement empathique que nous développons : les études interdisciplinaires sur l’empathie (De Waal, Rogers, Decety & Jackson), le sentiment sympathique (Nussbaum), l’imagination morale délibérée (Fletcher) et la prosocialité (Baumard, Dunfield).
L’empathie : Pour Frans De Waal, éthologue hollandais, l’empathie fournit un accès à un soi étranger. Bien que « nous ne puissions rien sentir de ce qui arrive en dehors de nous ... en fusionnant le soi et autrui, les expériences d’autrui résonnent en nous » (2009 : 65). Pour Carl Rogers, psychologue fondateur de l’approche humaniste de la thérapie, le processus empathique demande une certaine sensibilité à « entrer dans le monde perceptuel privé de l’autre et s’y sentir comme chez soi ... être sensible, moment après moment, aux sens changeants et ressentis qui coulent dans cette autre personne ... vivre temporairement dans la vie de l’autre ; s’y mouvoir avec délicatesse sans porter de jugements » (1975 : 3). Jean Decety et Philip Jackson, neurobiologistes, décrivent quant à eux l’acteur empathique comme doté d’un sens du discernement qui lui permet de demeurer aussi impartial qu’humainement possible. Ils définissent l’empathie comme « la capacité de comprendre et de répondre aux expériences affectives uniques d’une autre personne », bien que cette compréhension « n’implique pas nécessairement que l’on agisse ou même que l’on se sente poussé à agir de manière encourageante ou sympathique. » (2006 : 54).
Le sentiment sympathique : Martha Nussbaum, à partir d’une critique de la crise actuelle en éducation, propose le développement d’un modèle éducatif ancré dans les arts et les humanités qui promeut la démocratie en cultivant le sentiment de sympathie nécessaire pour que les individus « voient les autres êtres humains comme des personnes à part entière ayant leurs propres pensées et sentiments qui méritent le respect et l’empathie » (2010 : 143). De nombreuses recherches soulignent le lien important entre empathie et citoyenneté (Lee & Leung, 2006 ; Reysen & Katzarska-Miller, 2013 ; Schonert-Reichl & Hymel, 2007 ; Schonert-Reichl, Smith, Zaidman-Zait & Hertzman, 2012).
L’imagination morale délibérée : L’imagination morale délibérée est comprise comme le fait d’imaginer intentionnellement, en réponse à une expérience réelle, un contexte donné à partir de plusieurs cadres de référence. Cette imagination intentionnelle permet d’élargir la grille de lecture morale à travers laquelle nous approchons et évaluons les expériences vécues (Fletcher, 2018). Elle peut aider les jeunes à affronter certains défis importants qui contraignent leur citoyenneté responsable, notamment « l’étendue empathique étroite », c’est-à-dire la tendance à faire insuffisamment preuve d’empathie en raison d’un paysage mental limité qui simplifie ou déforme les situations d’autrui et risque ainsi de mettre en péril la façon dont ils le voient ou le traitent. Les enfants capables d’imagination morale délibérée sont, des premiers résultats de recherche l’attestent, même à un jeune âge, plus motivés que leurs pairs à engager un dialogue empathique avec autrui (Recchia & Fletcher, 2019).
La prosocialité : Les travaux de psychologie sur le concept de prosocialité et sur le développement du comportement prosocial sont également pertinents pour le cadre conceptuel de l’IPCJ. Quoique très nombreux, ils prouvent que les comportements d’aide, de partage ou de don apparaissent très tôt chez l’enfant (Dunfield & Kuhlmeier, 2013 ; Dunfield, Kuhlmeier, O’Connell, & Kelley, 2011) et à travers les cultures (Aknin et al., 2013 ; Henrich et al., 2005). La prosocialité serait donc enracinée dans l’évolution de notre espèce (Baumard, 2010 ; Chudek & Henrich, 2011). D’autres travaux ont exploré les approches éducatives qui promeuvent le comportement prosocial, notamment l’éducation du caractère, l’éducation civique, l’éducation morale et l’apprentissage par le service (Brown, Corrigan & Higgins-D’Alessandro, 2012).